A l’encontre de ce qu’on pourrait imaginer spontanément, la psychanalyse ne cherche pas nécessairement à réduire la culpabilité ; une cure peut même avoir pour effet de l’amplifier, pourvu qu’elle soit correctement orientée et qu’elle porte sur les objets adéquats.

Jusque-là Lacan se montre profondément en accord avec Kant. Le point où il s’en démarque tient à ce que l’auteur des Fondements de la métaphysique des moeurs réfère la culpabilité à la loi plutôt qu’au désir. Le sujet kantien est coupable devant la loi qui le divise et le tourmente par l’exigence de tâches infinies, donc irréalisables ; étrangement, on pourrait dire que, par cette culpabilité, le sujet réussit à se démettre de son autonomie en confiant à Dieu ou à quelque autre instance étrangère la possibilité et le soin de porter l’accord des exigences de la loi avec l’existence – tout particulièrement avec l’existence heureuse. Or, la tâche de Lacan en éthique consiste, non pas à opposer le désir à la loi, mais à montrer au contraire que c’est le désir même qui est la loi du sujet ; dès lors, la culpabilité est référée au désir : “Qu »as tu fait de ton désir ?” devient la véritable mesure de nos actions, car “la seule chose dont on puisse être coupable, c’est d’avoir cédé sur son désir”. Cette éthique ne doit pas être entendue comme un relâchement hédoniste par rapport à la morale kantienne : d’une certaine façon, elle est plus terrible qu’elle, puisqu’elle ne laisse plus aucune fuite possible devant ses responsabilités. Le kantisme laissait encore ouverte au sujet l’échappatoire de n’avoir pas eu la chance d’être dans les conditions extérieures ou intérieures qui lui auraient permis de réaliser son devoir ; il était encore une philosophie du bonheur.

Paradoxalement, l’éthique du désir n’est pas un eudémonisme et elle ne laisse plus aucune excuse, pas même celle d’avoir eu à faire son “devoir”, au sujet qui a cédé sur son désir et qui, de concession en concession, s’est laissé gagner par l’éthique des biens. Le devoir moral, si pénible puisse-t-il sembler, peut être invoqué voire exercé à la façon d’un divertissement par rapport à la règle de son désir

Désir – Le vocabulaire de Jacques Lacan – Jean-Pierre Cléro – zlib

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